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“Puis-je également vous rappeler que vous pouvez accéder à la plupart des métiers depuis maintenant dix ans? Quand vous réfléchissez aux privilèges dont vous jouissez , cela depuis longtemps déjà, […] vous conviendrez que l’excuse du manque d’opportunités, d’éducation, d’encouragements, de loisirs et d’argent ne tient plus.”
Virginia Woolf, Une chambre à soi, Le Livre de Poche, (Préface de Lauren Bastide), 2020, p.205
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☕ Edito : Micheline entre en politique
🍛 Le Digest de la semaine : Virginia Woolf, Une chambre à soi
🍹 Take Away “Fraîcheur” : Ils et Elles en parlent
☕ Edito : Micheline entre en politique
Cette semaine j’avais envie de vous présenter l’essai de Virginia Woolf publié en 1929, sous l’angle de l’artiste écrivain, et puis, l’actualité a imposé ses rebondissements. Coupée brutalement de ma rêverie, je n’ai pu m’empêcher de faire le lien entre l’égalité femmes-hommes et les récentes déclarations d’Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission européenne à la suite de sa visite en Turquie. Alors en déplacement diplomatique avec le Président du Conseil européen, celle-ci n’a pas été accueillie selon le protocole habituel réservé aux représentants étrangers aux responsabilités exécutives internationales. Elle accuse donc la Turquie d’avoir fait preuve de sexisme à son égard.
👉 Regarder : “Le “sofagate”, Ursula von der Leyen reléguée sur un canapé” (France 24)
Impossible pour une femme de gouverner ? J’ai suivi la méthode transmise par Virginia Woolf : je me suis amusée à réfléchir aux plus gros clichés portés sur les capacités d’exécution des femmes - véhiculés par les hommes et par les femmes. Et puis j’ai laissé parler Micheline 💙.
📷 @mehmetgeren (sur Instagram)
Gouverner au féminin : douceur, sensibilité, et … autocensure ? 😵 😬 😒
Moi, Micheline, ambitieuse et carriériste, je m’engage à ne pas souffrir des mêmes mécanismes de domination que mes aînées. Certaine des rêves qui m’animent, je me plonge à corps perdu dans des heures de travail harassantes. En 2020, le magazine Forbes a attribué le succès de la gestion de la pandémie à la bonne gouvernance féminine … avant même d’analyser les modes de gouvernement à l’oeuvre dans les pays en question. L’"essence féminine” a le vent en poupe : honnêteté, fermeté, sens du partage et … amour des siens ! 👉👉👉 “T’es une belle personne Micheline”
Je me dis donc qu’avec autant de qualités intrinsèques, j’ai une chance de plaire, d’être élue un jour, d’incarner le renouveau dans mon pays. Une fois la gloire et la renommée acquises, je m’engage à faire preuve d’humilité comme chacune des femmes politiques que nous avons aujourd’hui en exemple : la sobriété heureuse d’Angela Merkel, l’audace de Jacinda Ardem (Première ministre de Nouvelle-Zélande qui est tombée enceinte lors de son premier mandat), et le courage de Katrín Jakobsdóttir (Première ministre islandaise en campagne contre le harcèlement et les agressions sexuelles dans son pays).
Mais voilà, je suis vite rappelée à l’ordre sur la terrible réalité qui risque d’être la mienne. 32 % seulement des ministères sont tenus par des femmes dans les pays européens, et leurs fonctions sont rarement “régaliennes” (justice, sécurité, armée). 20 ans après la Loi sur la parité, voilà un constat qui fout le bourdon. En France, toujours pas de femme Premier ministre et encore moins Président. D’ailleurs comment on les appellerait ? J’en entends encore qui peinent à dire Madame LA Maire. (A ne pas confondre avec Lemaire qui est un autre type d’animal politique).
“Faut garder la kniak Micheline”, je me suis dit. “Ca va percer”. Hélas, je constate aussi que la fâcheuse tendance à infantiliser les femmes existe aussi en entreprise. Christine Lagarde elle-même, est revenue sur ses propres convictions. Oui, il faut imposer des quotas et des dispositifs contraignants pour s’assurer que les femmes accèdent à des responsabilités à la mesure de leurs compétences et un meilleur salaire. Pourquoi ? Parce qu’on ne va pas les chercher, qu’on les sous-estime et qu’elles s’auto-censurent (parce qu’elles croient ce qu’elles entendent).
👉 Voir : “Pour Christine Lagarde, le mérite des femmes ne suffit pas, il faut des quotas” (Brut)
Bienvenue à l’ère du “New normal”
Je finis par me dire qu’un vent favorable pourrait me porter outre-Atlantique, auprès de Joe, Kamala, et Nancy. Je les ai vu l’autre jour ensemble, l’une Vice-Présidente, l’autre Présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, derrière le “President of the United States” … ça a de la gueule. Il paraît selon Joe qu’il s’agit du “New Normal” - comprendre les nouvelles normes culturelles et politiques à appliquer aux plus hautes fonctions représentatives. Je trouve qu’ils tirent quand même un peu le trait sur leur trio parfait, ça en devient presque gênant des fois.
👉 Reminder : “We did it Joe”
Tout de même, ‘sont bien ces Américains. A la recherche d’opportunités perdues, je me dit que finalement, traverser l’Atlantique ce n’est pas mal. En plus, étant donné que #Metoo a commencé là-bas, je me dis qu’un séjour aux U.S. ca m’évitera de slalommer entre les mains baladeuses, oublier les commentaires libidineux, et répondre au dénigrement de mes compétences… J’ai lu assez de témoignages sur le site “Chair collaboratrice” pour me refiler des boutons à l’idée d’être en contact avec la vie politique française.
👉 Découvrir : Chair collaboratrice : les femmes en politiques qui dénoncent le sexisme
Une fois Donald Trump dégagé du pouvoir, je respire un peu - enfin sauf quand j’entends parler des “Proud boys”, ces activitistes pro-Trump ouvertement misogynes & en faveur de l’incarcération des femmes dans leur foyer. Le genre à “grab the pussy”. Je ne suis pas venue pour souffrir moi !
L’Europe risque de me manquer donc. On y mange bien quand même... Et puis il y a Ursula. Avant elle, il y a eu Margrethe Vestager, qui a su faire avancer l’UE sur des questions épineuses. Je pense aussi à Federica Morgherini qui a dirigé la diplomatie européenne de 2014 à 2019. Des technocrates bien efficaces ! Je pense alors à la France. Je me demande si les prochaines élections en 2021 (élections régionales) et 2022 (Présidentielle et législatives) nous amèneront enfin des élues figures de proue d’une politique moderne. Des représentantes, choisies pour leur programme, pour gouverner leur territoire, avec intelligence, talent politique et charisme. Je me demande d’ailleurs à qui on a déjà prêté ces qualités dans les médias français ⁉️
Alors moi, Micheline, je continue de croire en mes rêves. Comme dirait Jean-Claude : “Un conseil : oublie que t’as aucune chance, vas-y fonce ! On sait jamais… sur un malentendu ça peut marcher”.
📷 @mehmetgeren (sur Instagram)
🍛 Le Digest de la semaine : Virginia Woolf, Une chambre à soi
Pendant qu’Ursula réglait ses comptes, je relisais Une chambre à soi de Virginia Woolf. Pour devenir auteure, nous explique la romancière, une femme doit disposer d’une chambre et de 500 livres de rente - un espace perso’ 🔑 et du bif’💰. Pourtant les raisons qui l’amènent à cette conclusion restent méconnues.
Virginia Woolf doit répondre au sujet “Les femmes et la littérature”. Elle met en place une fiction : celle de Mary qui, au bord de l’eau, songe à sa condition de femme. Elle utilise un “je” fictif qui “n’a pas d’existence réelle” (p.23), comme le ferait un écrivain. C’est donc en qualité d’auteure que Virginia Woolf s’exprime devant son public.
Mary … rêvasse à l’Université d’Oxford où règne “l’esprit de la paix”. Mais elle est confrontée à de nombreuses limites. Son accès est refusé au parc, à la bibliothèque et à la chapelle. C’est une femme, sa présence n’y est pas autorisée, sauf accompagnée. Or ces lieux sont ceux qui offrent à la fois une vie intellectuelle et artistique.
Face à cette déception … Mary se rend au British Museum pour fouiller la question : “Les femmes et la littérature”. Elle rassemble les ouvrages qui peuvent l’orienter mais elle se confronte à un problème majeur : les livres sur les femmes sont écrits par des hommes, et sont pour la plupart “prophétiques, moralisants, exhortatoires”. Ils traduisent surtout les fantasmes des hommes au sujet de la Femme (ou “la F.” comme dit Mary) : pilosité, puberté, amour des enfants - des sujets traités avec mépris et stéréotypés.
Pourquoi tant de haine ? Mary divague (je vous passe les détails) et en arrive à la conclusion suivante : le mépris pour autrui - et l’oppression qui en découle - vient du besoin de renforcer la confiance en soi en s’assurant de l’infériorité d’une catégorie bien identifiée. Dans la société de Mary, les hommes disposent de tous les pouvoirs, et de toutes les richesses. Ils sont éduqués pour reproduire les mécanismes de domination en leur faveur, au détriment de la dignité des femmes isolées dans des rôles subalternes. “D’une certaine manière, leur éducation avait été aussi fautive que la mienne” (p. 78). Rien dans la société dans laquelle vit la femme anglaise au début du XXème siècle, ne la prédispose à mener une vie culturelle, intellectuelle et politique assez riche pour devenir une figure incontournable de sa génération.
Coup de théâtre : Mary nous explique que le jour de l’obtention du droit de vote des femmes en Angleterre, elle reçoit une lettre de sa tante. Celle-ci lui offre une rente, 500 livres plus exactement. Pour la narratrice, “de ces deux événements - le droit de vote et l’argent - je dois dire que l’argent m’a semblé infiniment plus important”. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’indépendance financière lui procure une liberté inaliénable. “La nourriture, le logis et les vêtements sont à moi pour toujours” (p. 78), “la liberté de pouvoir penser aux choses telles qu’elles sont vraiment” (p.79).
On pourrait objecter à Mary que l’époque fait l’homme (ou la femme) et que l’Angleterre du XXème n’encourage simplement pas les femmes à devenir auteure. Pourtant, même pendant l’âge d’or élisabéthain (l’époque de Shakespeare) - période faste pour les artistes - les femmes étaient absentes de la vie artistique et culturelle. Si Shakespeare avait eu une soeur de son vivant, quelles opportunités lui auraient été offertes en tant que femme ? Aurait-elle disposé d’un environnement favorable à l’expression de son talent ? La réponse est non, compte tenu des interdictions faites aux femmes dans la sphère publique et privée. Une femme avec le talent de Shakespeare n’aurait jamais vécu en artiste, et ses oeuvres n’auraient été ni publiées, ni même écrites.
Quel est l’impact des privations de liberté des femmes sur la production artistique ? Mary consulte les étagères sur lesquelles sont répartis les romans des siècles derniers. Les hommes dominent la production le plus souvent avec un style viriliste propre aux codes établis. A l’inverse, les écrits des femmes traduisent l’enfermement, la frustration et souvent la haine à l’encontre des oppresseurs. La vie des femmes n’intéresse pas non plus les auteurs masculins : il n’y a pas grand chose à raconter sur une vie pauvre et étroite. La littérature, d’ailleurs, ne fait état du sort des femmes qu’en rapport avec leurs sentiments pour les hommes ou par les hommes.
Pour que les femmes puissent exprimer leur “puissance créatrice”, il faut qu’elles disposent de leur espace personnel où elles ne seront pas dérangées, et d’assez d’argent pour profiter du confort et du loisir nécessaires à la rêverie littéraire et l’indépendance d’esprit. Ainsi, elles peuvent être protégées des limites qu’on chercherait à leur imposer. Le but n’est pas qu’hommes et femmes soient identiques, mais qu’ils expriment chacun leurs différences de manière tout aussi légitime. L’idéal serait un être androgyne : le masculin reconnaît le féminin en lui, le féminin accepte le masculin. Femme-Homme, Homme-Femme. Et surtout … que les femmes saisissent leur chance - car elle existe - dès aujourd’hui.
🍹 Take Away “Fraîcheur” : Ils et Elles en parlent
Pour les amoureux.ses de newsletter et d’écriture
Plumes with attitudes : quoi de mieux que de cultiver son amour de la plume auprès d’auteur.e.s entreprenant.e.s et talentueux.ses ? C’est ce que propose Benjamin dans sa newsletter. Cette semaine, entretien avec Léa Moukanas, élue Entrepreneur social de l’année à Vivatech 2018, et auteure de deux romans. 👉 https://plumeswithattitude.substack.com/p/responsabilites-civiques
Jesuisauteur.com. Renée rédige son premier manuscrit et nous fait part de ses conseils pour ne pas lâcher le morceau 👉 https://www.jesuisauteur.com/blog/ecrire-manuscrit-conseils
🇬🇧 Read a girl. Quand avez-vous lu un livre écrit par une femme pour la dernière fois ? Et en anglais ? Avec la newsletter “Read a girl”, Amanda s’engage à vous partager ses lectures… de femmes 👉 https://rmiranda.org/read-a-girl/
Voxe.org. La newsletter de Léonore et de son équipe est taillée sur-mesure pour les jeunes femmes désireuses d’en savoir plus sur l’actu’. D’abord pensée comme un outil de décryptage des programmes politiques, puis une newsletter, et enfin une analyse de l’actu’ pour encourager les filles à prendre leur destin en main, elle ne manquera pas de vous donner des infos utiles 👉https://www.voxe.org/
Les Glorieuses. On ne présente plus Rebecca Amsellem et sa newsletter Les Glorieuses déclinée en plusieurs versions : Les Glorieuses, Impact par les Glorieuses, Economie, Les Petites Glo’. 👉 https://lesglorieuses.fr/
50 in tech. 50% de femmes dans le secteur de la tech, c’est possible ? A des fonctions managériales ? Pari à tenter avec l’équipe de 50 in tech 👉 https://www.50intech.com
🇬🇧 She negotiates. Comment négocier son salaire, une promotion, une augmentation ? Autant de questions épineuses abordées toutes les semaines par l’équipe de Victoria, notre amie américaine 👉 https://www.shenegotiates.com/our-newsletter
Aider la Micheline qui est en nous
“Knock down the house” : commencer une carrière politique aux US, c’est possible. Gagner un siège au Parlement, elles en rêvent. Alexandria Ocasio-Cortez l’a fait. “Pour qu’une seule d’entre nous réussisse, une centaine doit tenter sa chance” (Documentaire Netflix) - bon… la formation et l’équipe ça compte aussi … je ne le recommanderais jamais assez !
📚 Angela Saini, Inferior (2017). Angela Saini fait l’état des lieux des préjugés les plus ancrés dans la science et la médecine actuelle au sujet du corps des femmes, et profite de cette occasion pour contre-argumenter les discours sexistes. Sexe faible ? Mmmm … Pas si sûr.
📚 Naomi Alderman, The Power (2016). Un matin, toutes les femmes découvrent en elles le “power”. Elles ont le pouvoir d’électrifier n’importe qui, n’importe quand. Une dystopie qui met évidence les dangers d’une domination usurpée, imposée par la violence.
📚 Camille Laurens, Fille (2020). Qu’est-ce que ça veut dire être “fille” ? Le dictionnaire donne plusieurs définitions, la réalité est encore pire. Sauf si on en décide autrement.
📚 Julia Kerninon, Liv Maria (2020). Le roman de la femme libre ! Seulement indépendance totale, signifie aussi … pas d’engagement. L’auteure nous met face à l’audace de Liv Maria, et teste ainsi nos propres fantasmes.
📚 Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes (2018). Best-seller, passé de mains en mains entre les sorcières de ce bas monde, l’essai de Mona Chollet est un appel à la reconnaissance de son potentiel et de sa force.
📚 Chimamanda Ngozi, We should all be feminists (2014). Connu, archi-connu - une petite dose de rappel ne fait jamais de mal.
Et en rire sur Instagram
Jm’en bats le clito (@jmenbatsleclito). @camillemontcarnel dénonce tous les tabous liés au corps féminin. Osé.
Tej’ par texto (@tejpartexto). Se fait larguer c’est dur. Par texto, c’est l’enfer. Florilège des pires râteaux virtuels.
Dis bonjour sale pute (@disbonjoursalepute). Vous êtes harcelée dans la rue, et vous n’êtes pas la seule. En parler, ça fait du bien. L’appli existe maintenant depuis 2021, le compte est devenu une association de lutte contre le harcèlement sexuel.
Les Caractères (@lescaracteres). Tous les personnages de Lison Daniel sont absolument géniaux. Pensée pour Séverine qui subit le laxisme de ses collègues, et pour Adélaïde, frustrée et perfectionniste, qui ne sait pas mettre un terme à sa relation avec Bruno. Mon préféré reste Ivan ❤️.